Le mot du Dr Bénédicte Défontaines

Depuis les années 80, le vieillissement rapide des populations est concomitant de l’augmentation du nombre de maladies neurocognitives, la maladie d’Alzheimer (MA) étant la plus représentée. En 2020, on comptait plus de 2 millions de personnes atteintes de MA et 240 000 nouveaux cas chaque année. Il s’agit du problème de santé le plus grave du XXIe siècle selon l’OMS.

Dans le même temps, les avancées spectaculaires des quarante dernières années en neurosciences cognitives ont permis une meilleure compréhension des maladies neurodégénératives ainsi que des troubles du neurodéveloppement (TND tels que trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité TDA/H, dyslexie, autisme…) chez les enfants ou adultes jeunes. Les TND constituent également un problème de santé publique et concernent environ 3 millions d’enfants. Ces pathologies ont des conséquences majeures sur les plans personnel, familial, social, médico-économique.

En France, tous âges confondus, les troubles cognitifs concernent 16 millions de personnes directement ou indirectement (5 millions de patients et 11 millions d’aidants) pour un coût estimé à 52 milliards d’euros par an.

Les neurologues sont les pères fondateurs de la neuropsychologie et, depuis 1990, les psychologues peuvent se spécialiser en sciences cognitives (neuropsychologues). Ils sont devenus les experts de l’évaluation, de l’analyse et de la réhabilitation des fonctions cognitives chez les patients.

Ces avancées en neurosciences offrent aux cliniciens (médecins spécialistes, neuropsychologues…) la possibilité de mieux connaître, repérer et améliorer la démarche diagnostique et le suivi des troubles cognitifs chez les enfants, les adultes jeunes et les seniors. 

Si les progrès sont immenses, une difficulté sociale se fait jour. En France, les actes des neuropsychologues ne sont pas cotés par la sécurité sociale (SS) et sont à la charge financière de l’hôpital ou de la personne si elle consulte en libéral (400 à 600 euros pour un adulte, 800 à 2 000 euros chez un enfant pour une évaluation diagnostique, 60 à 80 euros par sessions de soin). 

Dans les années 1990, face à l’augmentation du nombre de personnes de plus de 50 ans se plaignant de troubles cognitifs, des consultations mémoire hospitalières multidisciplinaires ont été établies. Elles ont rapidement été submergées et, en 2004, le délai entre la plainte du patient et le diagnostic atteignait deux ans. Le diagnostic n’étant posé qu’à un stade modéré voire sévère (chez les enfants ou les adultes), moins de 50 % des patients étaient diagnostiqués.

C’est dans ce contexte que je fonde, en 2004, l’association Aloïs (loi 1901) pour apporter une contribution à ce problème de santé publique en incluant la médecine de ville et ses professionnels libéraux. Ceux-ci ont une connaissance inégalée du terrain, des besoins des patients et de leurs familles, permettant de mener des démarches différentes de celles en cours à l’hôpital. À titre personnel, je démissionne de mon poste de neurologue hospitalier pour ouvrir un cabinet de ville à Paris (consultation neurologique spécialisée dans les affections/maladies cognitives) afin de porter une double casquette de neurologue clinicienne et directrice d’Aloïs.

 

« Diagnostiquer tôt les troubles cognitifs pour vivre mieux »

 

L’objectif ? Répondre à la demande des patients, là où les services publics n’en avaient pas la capacité, en déposant une demande de subventions à l’État. Il s’agissait d’augmenter le taux de patients examinés, de poser un diagnostic plus rapide, pour initier une prise en charge précoce. Dès 2004, Aloïs a développé des parcours de soin en ville (consultations multidisciplinaires, coordonnées, informatisées) en Île-de-France, puis à Lyon. Nous souhaitions pallier à la fois l’insuffisance de diagnostics neuropsychologiques à un prix raisonnable en ville, la saturation hospitalière, mais aussi, la difficulté de simplement accéder à ces diagnostics dans certaines zones géographiques, tels que les zones rurales et les départements d’Outre-Mer.

Cette démarche bénéficie au patient, à son entourage et à la société tout entière. Elle permet non seulement de réduire le taux de déscolarisation, de désinsertion professionnelle, de comorbidités chez les enfants et jeunes adultes et, par conséquent, les coûts liés, mais aussi de ralentir l’évolution et retarder l’entrée dans la dépendance chez les adultes, et d’accompagner tôt les aidants.

 

Remise de la Médaille de l’Ordre National du Mérite au Dr Bénédicte Défontaines (17/11/2022)

Remise de la Médaille de l’Ordre National du Mérite au Dr Bénédicte Défontaines (17/11/2022)

20 ans après la fondation d’Aloïs, notre action est reconnue, et les bénéfices économiques que nous générons reviennent à l’État. Nous sommes toujours au travail pour que l’État prenne à sa charge une partie de notre modèle (prochaine échéance attendue en 2026).

L’exemple de l’association Aloïs présente, pour le secteur à but non lucratif, un modèle innovant face au défi que constituent les affections neurocognitives. D’une part, l’initiative vient de l’association, sans être mandatée par l’État auquel Aloïs a proposé spontanément son projet. De plus, le rôle central qu’assume Aloïs dans la lutte contre les maladies/affections neurocognitives contribue à induire pour le secteur public une amélioration des activités et pratiques médicales, sociales et de santé. 

Aloïs révèle également à quel point le temps et la persévérance sont essentiels dans la lutte contre les problèmes médicaux et sociaux, face à l’Etat. En effet, il aura fallu 22 ans (une génération – et plus de 35 000 patients diagnostiqués) pour que l’État intègre une partie de notre modèle (parti d’une observation du terrain qui avait démontré qu’il était vertueux au bout de 5 ans) au droit commun (2026 : échéance pour la généralisation du projet PASSCOG).

 

Dr Bénédicte Défontaines, avril 2024